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Mardi 23 mai 1871
Le feu et les cendres

La Commune
La semaine sanglante

"Ce sont les barils de poudre qui éclatent, les murs qui s'écroulent, les vastes coupoles qui s'effondrent. Les flammes,[ ... ] vives comme des dards, sortent des mille croisées"

La cannonade a repris à l'aube

Communards fusillés pendant la Commune de Paris
Paris vit dans l'angoisse cette journée du mardi 23 mai, la seconde de la semaine sanglante. Les boutiques, les magasins, les cafés mêmes sont fermés. Tant pis pour les ménagères imprévoyantes qui n'ont pas fait de provisions. Toute la ville est sur le pas de sa porte ou à sa fenêtre, à l'écoute des rumeurs du combat, agitée de sentiments divers: de tristesse, de colère pour les communards, de secret espoir pour les conservateurs, d'angoisse, tout simplement, pour ceux qui se sont quelque peu « mouillés » avec la révolution.
La canonnade a repris à l'aube. Pour la clarté du récit, il paraît plus indiqué de raconter secteur par secteur.
Au nord, les Versaillais ont négocié un accord avec les Prussiens. Ceux-ci consentent à ouvrir à la division Montandon une partie de la zone neutre, qui n'est pas défendue, par conséquent, par les fédérés. C'est ainsi que la division s'engouffre par la porte de Saint-Ouen, ce qui lui permet de tourner les Batignolles.
La mairie du XVIIe est tenue par Benoît Malon. Conscient du danger, il ordonne la retraite sur Montmartre et quitte sa mairie le dernier. Et c'est la surprise de la journée. Alors que les événements du 18 mars étaient partis de la Butte, l'offensive du 23 mai la prend au dépourvu. Rien n'est prêt, rien n'est organisé. Les fameux canons du Champ Polonais eux-mêmes, à l'origine de toute l'affaire, sont hors d'état d'être mis en batterie. Les troupes versaillaises progressent si vite que le canon se tait dès 9 heures et qu'avant midi le drapeau tricolore flotte sur la tour de Solferino.
A Versailles, M. Thiers annonce triomphalement la nouvelle à l'Assemblée nationale frémissante. Sur le terrain, les officiers de la division Ladmirault marquent le coup à leur façon. Dans la cour de la maison du comité de vigilance de la rue des Rosiers, où les généraux Thomas et Lecomte ont été abattus à la fin de l'après-midi du 18 mars, ils font fusiller 49 personnes, dont 42 hommes, 3 femmes et 4 enfants...
La résistance montmartroise se situe plus bas, sur le boulevard. Ce sont les femmes qui l'animent, avec une inlassable intrépidité. Élisabeth Dmitrieff, sur les barricades de la place Blanche et de la place Pigalle, et Louise Michel, qui fait le coup de feu avec son bataillon, le 61e. Assommée d'un coup de crosse, elle est laissée pour morte sur le terrain. Elle se relève, le combat terminé, pour regagner son domicile.
Jaroslaw Dombrowski profite de ce combat de retardement pour tenter d'organiser la défense, enrayer l'avance des Versaillais vers la gare du Nord. Il se trouve rue Myrha, à 14 heures, lorsqu'il reçoit une balle dans le ventre. On le transporte d'urgence à Lariboisière où, malgré les soins du chirurgien-chef, le docteur Cusco, qui donnera son nom à une salle célèbre de l'Hôtel-Dieu, il expire vers 19 h 30, au milieu d'atroces souffrances et en murmurant: « Dira-t-on encore que j'ai trahi?»
Le corps est transporté alors à l'Hôtel de Ville où une chapelle ardente est dressée en vue d'une veillée solennelle.

Mort à Thiers ! Vive la Commune !

Mort à Thiers ! Vive la Commune !
Depuis le matin, le corps d'armée Clinchant progresse en direction de la gare du Nord. Après avoir balayé les barricades du boulevard de Clichy, il descend sur le carrefour Châteaudun, la rue Lafayette, menace le boulevard Haussmann et les magasins du Printemps. Il est en contact, sur son flanc droit, avec le corps d'armée Douay qui, débordant la rue Royale par le nord, attaque la barricade qui défend la Madeleine. Elle cède vers 11 heures du matin. Trois cents fédérés tiennent l'église et sont capturés à l'intérieur. Ils sont fusillés sur place, au cours d'un horrible massacre, tandis que les troupes poursuivent leur avance vers l'est, vers la place de l'Opéra qui, au début de l'après-midi, est attaquée de trois côtés: par le boulevard des Capucines, la rue Auber et la rue Halévy. Un furieux combat se déroule deux heures durant et finalement, vers 17 heures, les fédérés abandonnent leurs barricades sous un déluge de balles, pour se replier vers le carrefour Richelieu-Drouot.
Le réduit de la rue Royale est toujours tenu par Brunel, ses trois cents hommes et ses trois cantinières, qui font le coup de feu entre deux tournées de ravitaillement. C'est un rocher qui émerge, au milieu de la marée montante des Versaillais. Les hommes, luisants de sueur et noirs de poudre, conservent un moral magnifique. Leurs pièces rendent coup pour coup aux canons versaillais. Au milieu de leur citadelle, ils ont pendu un rat sous cet écriteau: « Mort à Thiers! Vive la Commune! »

C'est une nuit d'apocalypse

Attisé par un fort vent d'est, le feu se communique, de l'autre côté de la rue de Bellechasse, au Conseil d'État et à la Cour des Comptes. Puis, l'exemple gagnant, devant la pression sans cesse plus impitoyable des troupes du général de Cissey, les chefs de la garde nationale, évacuant en hâte les habitants, mettent le feu à la rue de Lille, à la rue du Bac...
C'est une nuit d'apocalypse.
Sur la rive droite, le ministère des Finances brûle aussi. Les flammes se reflètent dans la Seine, qui semble charrier un flot incandescent. Les craquements du brasier se mêlent aux fusillades sporadiques qui continuent par toute la ville. Au-dessus de la fournaise, s'élève un énorme nuage noir, cachant les étoiles. Le dais du malheur, du désespoir, de la folie, a été jeté sur Paris. Il retombe comme une fantastique neige noire.

L'incendie des Tuileries

Incendie du Palais Royal pendant la Commune de Paris
L'escalade de la violence, de la cruauté, de la démence, est commencée. Dans l'après-midi, afin d'enrayer l'avance des Versaillais dont la progression à travers les maisons le menaçait, Brunel avait décidé d'incendier les immeubles investis. C'est ainsi que ses hommes avaient mis le feu aux maisons du 15 au 27 de la rue de la Paix, du 2 et 4 faubourg Saint- Honoré. Il s'agissait d'incendies inspirés, sinon nécessités, par des raisons tactiques.
Au soir de ce 23 mai, le dernier carré des chefs de la Commune s'apprête à mettre le feu à Paris.
Cela commencé aux Tuileries, justement, où Bergeret réunit un conseil qui distribue les tâches à tous ceux qui vont badigeonner de pétrole les murs, les tentures, les boiseries. Le palais, qui regarde la Seine, a été commencé en 1564, sur les plans de Philibert Delorme. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, des adjonctions plus ou moins heureuses y ont été faites. Depuis près d'un siècle, il est étroitement lié aux vicissitudes de la vie nationale. Après le séjour tragique de Louis XVI et de la famille royale en 1792, Napoléon ler, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe, Napoléon III s'y sont succédé. Voilà ce que Bergeret fait flamber, en adressant ce message à l'Hôtel de Ville: « Les derniers vestiges de la royauté viennent de disparaître. Je désire qu'il en soit ainsi de tous les monuments de Paris. »
Voilà la destruction irréparable du patrimoine national, que Lefrançais saluera en ces termes: « Les Tuileries sont brûlées, gloire en soit rendue à ceux qui en prirent l'initiative courageuse et ont accompli cet acte de haute moralité et de haute justice populaire. »
Le soir tombe une fois de plus sur Paris. Il semble qu'une véritable folie s'empare des chefs de la Commune. L'incendie des Tuileries fait rage. Malgré l'intervention désespérée de Courbet, il dévore la bibliothèque du pavillon Richelieu. Les incendiaires s'en prennent déjà au Palais Royal (alors palais national) tandis que le feu menace le Louvre.
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